Régularité et Reconnaissance
Chers amis, vous m’avez demandé de commenter la relation qui existerait éventuellement en Franc-maçonnerie entre «Régularité» et «Reconnaissance», deux mots souvent utilisés de par le monde Maçonnique, des deux côtés de la Manche et de l'Atlantique autant qu'aux antipodes. C'est un de ces domaines où une confusion – souvent voulue – règne, et pas seulement chez ceux qui se prétendent réguliers par révélation Divine ou presque, mais aussi à l'intérieur de notre beau pays, la France.
Le sujet exige un bref préambule. Il m'est souvent arrivé de dire et d'écrire qu'il ne fallait considérer qu’avec beaucoup de prudence l’époque à laquelle nous vivons comme étant un tournant exceptionnel de l'Histoire. Car en effet et au fil du temps nombre de gens se sont trompés dans ce ressenti qui, avec le recul, s'est avéré faux. Le déclin et la chute de l’empire romain a pris des siècles et seule la perspective des siècles peut nous apporter la perspective et le recul nécessaires pour déterminer les moments-clés de l'histoire de l'Humanité.
Il ne serait pourtant pas exclu qu'en cette période charnière du passage du second au troisième millénaire, que nous venons de vivre, nous ayons vécu une période exceptionnelle de l'Histoire de la Franc-Maçonnerie moderne. Au risque de me tromper, je vais expliquer pourquoi je le pense, et pourquoi je ne cède pas là à un millénarisme quelconque.
Le passage encore récent de l'année 2000 n'est pas, comme on pourrait le croire, une étiquette placée par les hommes sur le cours parfois calme mais le plus souvent trouble de l'histoire. Nous savons, tout le monde sait, que la Franc-maçonnerie moderne (dite «de Grande Loge») est probablement née avec la fondation en 1717 de la Grande Loge de Londres et Westminster.
Cela s'est réalisé par l'union de quatre Loges, jusqu'alors indépendantes et venues on ne sait pas d’où, qui ainsi créaient le noyau de départ de la première obédience maçonnique; c'est à dire la première Fédération de Loges décidées à mettre en commun leurs besoins d'intendance, afin de pouvoir se concentrer sur certaines choses qui leur semblaient plus importantes. Comme la mise en pratique de la fraternité, l'amélioration des gens et – de par cela et à travers eux – l'amélioration du sort de l'Humanité. Cela a donné à la Maçonnerie anglaise une avance sur toutes les autres, même si les supposés ancêtres de notre Ordre, les Compagnons opératifs, étaient plus nombreux en France qu'en Angleterre.
Ainsi et au cours de deux siècles et demi, la Franc-maçonnerie anglaise étendit ses ailes protectrices mais étouffantes sur la Franc-Maçonnerie universelle. Des choses qui n'existaient point dans la maçonnerie d'origine furent ajoutées pour des raisons purement politiques, comme l'assimilation du Grand Architecte de l'Univers avec le Dieu de la Bible (cf. les Anciennes Charges des constitutions d'Anderson). Les lois et les édits de la Grande Loge de Londres tout d'abord, puis ceux des grandes loges des Anciens et des Modernes et enfin, après 1813, ceux de la Grande Loge Unie d'Angleterre tentèrent de décréter pour le monde entier qui était Maçon et qui ne l'était pas, quelle obédience était régulière et quelle ne l'était pas, tout cela par le simple jeu de la reconnaissance ou de la non-reconnaissance.
Ceux qui étaient reconnus par Londres jouissaient de relations privilégiées entre eux sous les yeux attendris, affectueux et tolérants de la Grande Loge Unie d'Angleterre; tous les autres étaient rejetés dans les limbes froids et sombres de la non-reconnaissance et donc, automatiquement, d'une certaine manière et suivant la définition britannique, dans «l'irrégularité».
Par l'hégémonie mondiale actuelle de la langue anglaise, la plus grande puissance linguistique de l'histoire de l'Humanité, plus encore que le latin, l'influence de l'Angleterre a continué de s'étendre encore au sein des treize colonies anglaises d'Amérique du Nord bien longtemps après la révolution américaine.
Cette révolution, qui avait rompu les liens purement politiques et administratifs avec le pouvoir colonial, n'a que très peu influencé la Franc-maçonnerie nord-américaine. Celle-ci a continué d’être extrêmement dépendante de nos amis Anglais et ce n'est seulement et avec beaucoup de timidité qu'au début du XXème siècle elle se permit enfin de prendre unilatéralement quelques initiatives; mais toujours dans un sens souhaité par la Grande Loge Unie d'Angleterre. Par exemple, l'idée qu'une seule obédience maçonnique devrait être reconnue dans chaque pays a pris naissance aux États-Unis et cela dès le XIXème siècle.
Nous savons que les guerres déclenchent souvent des progrès technologiques et des réveils tant intellectuels que spirituels. C’est malheureux mais vrai. Cela s'avère également au sein de la Franc-maçonnerie. La fin des guerres napoléoniennes, de la guerre de sécession aux États-Unis, d'autres guerres du XIXème siècle et enfin la fin des Première et Seconde Guerres Mondiales ont donné à la Franc-Maçonnerie des essors successifs qui agrandirent d'une manière tout à fait inédite son influence et le nombre de ses Frères.
Qui aurait pu s'imaginer que les petites réunions dans des arrière-salles de quelques tavernes, ou d’autres sombres endroits de la moitié du XVIIIème siècle, auraient donné naissance à plus de 4 millions de Maçons américains en 1959 et à plus de 2 millions dans l'empire Britannique à la même époque? Même si le réveil de la Franc-maçonnerie Européenne de la fin de la deuxième guerre mondiale a été quant à lui plus lent, moins spectaculaire, mais plus solide. Alors, qu'en est-il de la situation actuelle?
Je voudrais vous entretenir sur des choses dont vous n'avez peut-être pas entendu parler jusqu'à présent, mais qui pèseront bien lourdement sur les décisions qui devront être prises pendant cette décennie et la décennie prochaine, ainsi que d'une manière générale sur l'avenir de la Franc-maçonnerie.
Tout d'abord il nous faut faire le point sur les règles (terme dont découle le mot «régulier» et donc «régularité»), dont on a vu l'usage politique qui en était fait, dès le début du XVIIIème siècle, pour adouber ou non tant des obédiences que des Frères. Que l'on me pardonne si quelques éléments de cette énumération fâchent les convictions de quelques lecteurs (tout au moins pour le moment), mais je ne peux pas et je ne veux pas maquiller la réalité historique. Il est aussi possible que les solutions du futur ne dépendront pas entièrement et uniquement de ces règles. Nous allons bientôt voir pourquoi.
Suivant le point de vue de 90% des membres de la Franc-maçonnerie mondiale et de la Grande Loge Unie d'Angleterre, qui a inventé les critères d'origine qui nous ont longtemps servi de modèle, une obédience régulière:
1) Est composée d'hommes exclusivement.
2) Applique un Rite et un rituel traditionnel, à la Gloire et sous l'invocation du Grand Architecte de l'Univers.
3) Le fait en présence des Trois Grandes Lumières de la Maçonnerie qui sont le Compas, l’Équerre et le Volume de la Loi Sacrée, qui est la Bible.
4) A été créée, par filiation ininterrompue, à partir d’au moins trois loges venant d'une obédience régulière.
5) Est souveraine et indépendante de tout autre Pouvoir maçonnique, de tout système de Hauts Grades, de tout parti ou organisation politique et de toute Église.
Nous pouvons voir tout de suite qu'une obédience qui a, comme le Grand Orient de France, abandonné en 1877 la Bible et toute référence au Grand Architecte de l'Univers, est irrégulière. Mais que pouvons-nous dire à propos de la GLNF, la Grande Loge Nationale Française, créée et précipitamment reconnue par l'Angleterre et son Pro Grand Maître Lord Ampthill le jour précédant sa création en 1913, mais alors constituée de seulement deux loges irrégulières (dont une en sommeil), issues du Grand Orient de France et soumise à un pouvoir maçonnique étranger, celui de la Grande Loge Unie d'Angleterre, auprès de laquelle ses Grands Officiers ont souvent été recrutés?
Que pouvons-nous dire de la Grande loge du Suède, reconnue elle aussi par la Grande Loge Unie d'Angleterre mais qui impose à ses candidats l'appartenance à l’Église Nationale Suédoise (on n'y reçoit ni les membres d'une autre église protestante ni des catholiques, ni des juifs) et qui est dirigée par un Conseil Suprême des Hauts Degrés auquel seuls les nobles peuvent prendre part?
Que pouvons-nous dire de la Grande Loge du Danemark, de la Grande Loge de Norvège ou de Grandes Loges composant Les Grandes Loges Unies d’Allemagne régentées, par des Suprêmes Conseils des Hauts Grades?
A l'évidence il se passe quelque part des choses dont nous, les Frères Maçons de base ne sommes presque jamais informés. Une obédience régulière, conforme aux règles (assez changeantes par ailleurs) de la Grande Loge Unie d'Angleterre n'est donc pas automatiquement reconnue et, vice versa, des obédiences clairement irrégulières au regard de ces mêmes règles sont reconnues. Mais dans ce cas et si la Régularité, comme son nom l'indique, impose le respect de certaines règles, qu'en est-il de la Reconnaissance? Malheureusement et même si elle le devrait, la reconnaissance entre obédiences maçonniques ne dépend point de la régularité de celles reconnues, mais des intérêts politiques (au sens de politique maçonnique et parfois plus) des celles qui accordent cette reconnaissance.
Malgré tout cela ne vous imaginez pourtant pas que nos amis anglais ne sont pas au courant de la réalité maçonnique en cours sur le continent Européen. Ne vous imaginez pas non plus qu'ils ne savent pas quelles sont les obédiences vraiment régulières parmi celles qui ne sont pas reconnues ou qu'ils s'imaginent que les loges qu'ils reconnaissent, GLNF, GLRB, les Suédois, certaines Grandes Loges Unies d'Allemagne et beaucoup d'autres Grandes Loges plutôt insignifiantes de par le monde, surtout en Europe de l'Est, seraient régulières.
C'est tout simplement dans leur intérêt d'avoir des relations maçonniques, d’une part avec des obédiences de pays importants comme la France, l'Allemagne et les pays scandinaves et d'autre part avec de petites obédiences d'autres pays ayant des problèmes de régularité réels, donc faciles à soumettre et à contrôler. Ils reconnaissent qui ils veulent, sans états d'âme, laissant à ces malheureuses obédiences le souci de se croire régulières car s’essoufflant à tenter de démontrer sans cesse qu'elles en sont dignes, en se montrant souvent plus Catholiques que le Pape. J'aimerais vous prouver cette dernière affirmation en vous citant deux Constitutions Maçonniques:
La Grande Loge Unie d'Angleterre dit: “Quelle que soit la religion d'un homme ou sa manière de la pratiquer, il ne sera pas exclus de l'Ordre, pourvu qu'il croie au Glorieux Architecte du Ciel et de la Terre".
La Grande Loge Régulière de Belgique dit: “La Franc-maçonnerie affirme l'existence de Dieu, Etre Suprême, qu'elle appelle le Grand Architecte de l'Univers. Elle exige de tous ses membres qu'ils reconnaissent cette affirmation. Cette exigence est absolue et n'admet ni compromis, ni restriction".
Cette combinaison a marché assez bien jusqu'aux années 1980. A ce moment-là, un point de rupture semble avoir été atteint et quelque chose s'est cassé de manière irréparable dans le domaine de la Franc-maçonnerie anglo-américaine et de type anglo-américain. Le déclin étant pourtant amorcé depuis longtemps mais d'une manière insidieuse. Pendant quelque temps les Grandes Loges touchées par cette maladie n'ont pas vu (ou n'ont pas voulu voir) le danger. Malgré le fait que depuis plus de quarante ans le nombre de membres des obédiences anglaises et américaines chute sans arrêt. Aux US il baisse depuis le maximum atteint en 1959 au rythme presque invariable de 3% chaque année. Le nombre des membres de la maçonnerie anglaise, jadis les quelques deux millions presque atteints (y compris les colonies), stagne autour de 250.000 de nos jours.
Ce qui plus est, la Grande Loge Unie d'Angleterre a récemment perdu, après avoir tenté une fois de trop d'imposer son point de vue au monde entier, le contrôle de la Franc-maçonnerie régulière indienne, italienne et grecque. Et une autre chose a été plus gravement révélatrice: Pour la première fois de son histoire elle n'a pas été suivie. Ni les grandes loges des USA, ni celles du Canada, de l'Australie et de la Nouvelle Zélande, ni même son fidèle vassal, la GLNF, ne l'ont imitée et ont conservé ainsi leur reconnaissance aux Indiens, aux Grecs et aux Italiens. La signification de ce fait ne peut pas être sous-estimée.
En rupture avec l'opinion publique anglaise, autrefois favorable, tout comme l'Eglise Anglicane (autrefois une principale alliée, mais elle-même en difficulté de nos jours), la Franc-maçonnerie anglaise fait aujourd'hui des efforts désespérés pour ralentir sa débâcle. Par exemple, à l'occasion de la récente célébration de la création, en 1717, de la Grande Loge de Londres et Westminster, le Grand Maître, Son altesse Royale le Duc de Kent, s'est déclaré devant une assistance de 6 000 personnes, Maçons et profanes réunis pour une tenue maçonnique (ce qui n'était pas très régulier), dans l'espoir d'une renaissance, en faveur d’imiter la Franc-maçonnerie américaine par une extériorisation presque complète.
Pour répondre à une campagne dans la presse à scandales qu'elle pouvait, autrefois, regarder avec mépris, la Grande Loge Unie de l'Angleterre a censuré de ses rituels tous les "serments pénaux". Ceux-ci sont aujourd'hui remplacés par un serment adouci et inoffensif. Elle a aussi publié dans la presse, il y a quelques années, les signes et les mots des trois degrés afin de prouver qu'elle n'a pas de secrets et rien à cacher. Ce qui dévoile la taille de ses problèmes, ainsi que les sacrifices auxquels elle est disposée à consentir pour sauver son existence. Enfin et encore une fois peu de membres de sa sphère d'influence semblent disposés à la suivre.
Le plus grand problème dans cette imitation des américains est, bien entendu, que les Américains eux-mêmes sont de nos jours loin d'être un exemple à suivre pour les Anglais. La Franc-maçonnerie Américaine perd chaque année beaucoup plus de membres que tous les Frères de la Franc-maçonnerie française, soit environ 100 000 personnes. Le nombre total des membres de la Franc-maçonnerie US est passé d'un maximum de presque 4.200.000 en 1959 à moins de 1.800.000 de nos jours (2005). Des chiffres d'ailleurs inflationnistes en vertu du système de comptage qu'ils utilisent, un frère membre de trois loges étant compté trois fois. Enfin et d’après un rapport très officiel de la Société des anciens Vénérables Maîtres US, neuf sur dix des nouveaux Maçons ne revient plus jamais en Loge après son initiation et seulement 5% sont plus ou moins assidus. Ce qui signifie qu'en dépit du grand nombre de membres annoncés (1.800.000), le nombre réel de Maçons US qui fréquentent vraiment les loges est de 90.000 à 125.000, pour une population de presque 260 millions d'habitants.
Des loges qui ont sur le papier 500 membres ont souvent des difficultés pour ouvrir leurs Travaux par manque de quorum. Les Grandes Loges des USA se trouvent donc obligées d'adopter des mesures qui ne peuvent être considérées autrement que désespérées. Une proposition récente de la Grande Loge de la Californie tend à obliger les loges avec moins de 500 membres de fusionner en une seule afin de pouvoir réunir au moins une douzaine de FF pour occuper les plateaux et ouvrir les travaux. Dans une autre tentative de stopper l'hémorragie, la Grande Loge de Floride initiait il y a un an en une seule cérémonie et directement au degré de Maître, plus de 1000 profanes dans l’espoir d’en retenir au moins une centaine. Il n'est pas étonnant que nous soyons tentés de comparer cette situation avec les problèmes de robinets et de baignoires qui fuient que nous devions résoudre dans notre enfance: Si une baignoire, contenant 300 litres d'eau, perd quatre litres chaque minute à cause d’une fuite et que le robinet ne peut débiter que 3 litres et demi par minute, combien de temps s'écoulera-t-il jusqu'à ce que la baignoire soit vide?
Et malgré tout cela beaucoup de Francs-maçons du monde entier ne se rendent pas compte avec quelle vitesse va probablement changer le paysage maçonnique international. Quelques Frères s'agitent ici à Paris autour de problèmes liés aux relations avec la Franc-maçonnerie anglaise et américaine, comme s'ils vivaient encore dans les années 1950. Quelqu'un devrait être extrêmement naïf pour penser qu'une Grande Loge au courant de la situation réelle dans le monde anglo-saxon puisse avoir la moindre envie de s'embarquer sur un navire qui prend l'eau de toute part. Et pourtant certains le font. Le futur de la Franc-maçonnerie a beaucoup d'opportunités pour être une période extrêmement intéressante, à condition que l'on s'abstienne de commettre trop de bêtises et à perdre trop de temps, choses pour lesquelles les obédiences maçonniques ont un immense talent.
Je vous propose de nous concentrer maintenant un peu sur ce futur, car jusqu'ici nous n'avons parlé que du passé et du présent. Prenons donc le risque de faire quelques prophéties sur un délai à court et moyen terme, même si ces prophéties risquent d’avoir la même valeur que les autres qui courent de nos jours. Bien entendu je les exprimerai sur l'Europe Occidentale, où l’on voit déjà depuis des dizaines d'années que les obédiences liées à l'Angleterre et à l'Amérique diminuent parfois plus vite que celles anglo-saxonnes. D'autre part les obédiences régulières et même irrégulières indépendantes sont en permanente croissance, à un rythme positif de +3% par an, le contraire quasi-exact du rythme négatif de celles de dépendance anglo-saxonne.
La courbe de la diminution de la Franc-maçonnerie anglo-américaine devrait croiser celle de l'augmentation de la Franc-maçonnerie indépendante dans une dizaine ou une quinzaine d'années. Les obédiences régulières indépendantes sont déjà plus nombreuses que les obédiences soumises à l'Angleterre. Le moment de la mise en place de relations maçonniques internationales basées sur la volonté indépendante et souveraine de chaque obédience se rapproche.
Cela constituera un moment exaltant mais difficile. Difficile à cause d'immenses différences de buts et de méthodes qui persisteront entre ces obédiences. La vaste majorité, que j'estime à environ 90%, resteront fidèles aux principes de régularité énoncés au début de cet article. Pourquoi les changeraient-elles? Leur régularité n'est qu'un aspect des vieilles traditions et règles qu'elles n'ont aucune raison d'abandonner. Je pourrais imaginer la Franc-maçonnerie de l'avenir se concentrer sur les obédiences européennes et latino-américaines, focalisées éventuellement par la maçonnerie française. Les obédiences de type anglo-américain commenceront probablement à se scinder, une partie en groupes pratiquant la charité, en se lançant peut être dans l'action sociale et politique mais quittant, excepté quelques signes extérieurs, le rituel et la tradition maçonnique.
D'autre part il y aura des fragments plus petits ou moyens, revenus à la régularité d'origine, mais qui auront abandonné à cause de leur nouvelle taille toute velléité hégémonique ou de suprématie. La même chose se passera avec les quelques têtes de pont qu'elles ont constituées sur le continent européen et moins sur le continent centre et sud-américain.
Je peux imaginer la Franc-maçonnerie française et européenne gardant sa variété et sa multiplicité mais se concentrant de nouveau sur l'essentiel, les standards traditionnels. Je pressens que le Rite Écossais Ancien et Accepté, de loin le plus riche du point de vue intellectuel et moral, symbolique et ésotérique, s'étendra et remplacera les rites de type anglais qui ne permettent ni des planches ni des discussions. Dans, ce contexte je pense que les obédiences européennes qui ont abandonné la tradition et les points de repère traditionnels pour l'action politique, sociale et charitable continueront à abandonner l'un après l'autre les éléments qui définissent la Franc-maçonnerie jusqu'à devenir autre chose, respectable peut-être, mais qui cesserait entièrement de mériter le nom de Franc-maçonnerie.
Si la Franc-maçonnerie des futures décennies réussit à devenir, avec trois siècles de retard, une Maçonnerie Universelle, c'est qu'arrive le moment de travailler en harmonie et ne plus s'épuiser en querelles stériles de précédence, de supériorité, d'hégémonie et d'argent tant au sein des obédiences qu'entre elles. Il est plus urgent et important que nous soyons sincères les uns avec les autres, que nous nous rencontrions plus souvent, que nous nous connaissions mieux et nous nous entendions beaucoup mieux.
Quant à la régularité que plusieurs d'entre nous possèdent depuis plus de trois siècles, nous devons la défendre à tous prix, car elle représente l'essence de ce que nous sommes. La Régularité – et seulement la Régularité – est ce qui fait la différence entre nous Maçons et le Rotary, le Lions et le Café du Commerce, enseignes respectables mais non maçonniques. Nous devons ainsi nous protéger des innovateurs qui tentent de nous expliquer que nous sommes au XXIème siècle, que nous devons simplifier et réduire nos rituels, nous débarrasser de ces traditions obsolètes et de tous ces points de rituel et de tradition qu'ils n'ont pas compris. Nous devons d'autant plus nous protéger contre des fabricants de nouveaux rituels, de nouveaux rites et degrés qui essayent d'introduire des innovations partout, parfois par bêtise et ignorance mais convaincus d'être plus intelligents que tout le monde, et surtout dans le but de se constituer un base à partir de laquelle ils pourront conquérir un certain pouvoir.
Nous avons tous notre Tradition ; du moins nous l’avons eue. La Tradition implique le devoir de la transmettre. Ce qui implique de la recevoir de nos prédécesseurs, de la maintenir en bon état, de la changer aussi peu que possible et seulement si cela est absolument nécessaire, enfin de la transmettre la plus intacte possible à nos successeurs.
Pour paraphraser une fois de plus ce que disait Antoine de Saint Exupéry, nous n'héritons pas de la tradition de nos ancêtres mais l'empruntons à nos successeurs. Nous devons la transmettre dans son état d'origine, ou la remettre dans son état d'origine avant de la leur rendre.
Traitez, mes Frères, la Franc-maçonnerie et particulièrement le Rite Écossais Ancien et Accepté comme s'il s'agissait d'une forêt. Explorez-la à votre guise. Trouvez des paysages, des sentiers ou des itinéraires hors des chemins battus. Passez aux endroits de votre choix le temps que vous voudrez, en laissant toujours, à votre départ, la place comme elle l’était avant que vous n'arriviez. Étudiez-la pour la connaître et la comprendre. Étudiez-la dans les moindres détails de ses mécanismes, de ses interactions, de son histoire, de sa raison d’être et de sa philosophie (oui, de sa philosophie!) si cela vous passionne. Ne gravez pas vos noms, signes, insignes et slogans dans l’écorce des arbres. Elle ne vous appartient pas. N’y mettez pas le feu et ne vous croyez pas envoyés pour la déraciner et la replanter selon vos propres plans et avec d’autres essences que celles d’origine. Bottez les fesses à quiconque tenterait de le faire.
Michaël Segall 2005
Notre Frère Michaël est passé à l'Orient Eternel le 27 février 2017. RIP
Source : http://isere-savoie-leman.over-blog.com