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L'Eglise de Pierre et les Loges de St Jean

20 Novembre 2012 , Rédigé par Patrick Geay Publié dans #Eglise catholique et FM

Dans un article récent J. Rousse-Lacordaire op (LRA, n° 8, 1999) évoquait les conditions d’un rapprochement entre l’Église catholique et la Franc-Maçonnerie. Nous souhaiterions dans les lignes qui suivent revenir sur plusieurs points importants, fort justement soulevés par lui, cela afin de fixer si possible définitivement les enjeux qui, de part et d’autre, conditionnent effectivement cet accord tant espéré quoique malheureusement peu probable.

Revenons tout d'abord sur la thèse de l’ignorance comme cause de la condamnation romaine de la Franc-Maçonnerie, que J. R.-L. estime insoutenable. Nous n’insisterons pas sur la marque d’irrationalité qui caractérise l’incroyable lettre de Léon XIII (1884) «sur la secte des francs-maçons», ni sur le faux problème du «relativisme noétique» (LRA, n° 8, p. 15) qui est sensé déterminer l’essence de la F.-M. Toutefois, comment admettre que l’Église ait jugé celle-ci en connaissance de cause, c’est-à-dire à partir d’une étude approfondie de ses traditions, de son symbolisme, de ses textes fondateurs (antérieurs à 1717), de ses rituels, de son histoire, dès lors qu’elle l’accuse : de déisme, d’agnosticisme, d’athéisme et de relativisme (LRA, n° 8, p. 13) ? Car tous ces reproches ne concerne en réalité qu’une Maçonnerie désacralisée et laïcisée en totale contravention avec la véritable nature spirituelle et initiatique de l’Ordre, nettement observable à partir des Anciens devoirs maçonniques qui, du Régius au Ms Dumfries (1710) ne peuvent, en aucun cas être considérés comme la matrice d’un quelconque libéralisme intellectuel dont la source philosophique se trouve ailleurs. A la décharge de l’Église, on dira que l’attachement actuel de certains Maçons au relativisme ou à l’idée anti métaphysique d’une vérité évolutive, est dû à l’état de dégradation de l’Ordre maçonnique en fait victime ici, tout comme l’Église d’ailleurs, de la pénétration des conceptions modernes qui provoquent sa désubstantialisation, sur le plan notamment de l’interprétation spirituelle des symboles. L’ignorance, hélas, n’est donc pas seulement du côté de l’Église ! En tout état de cause si celle-ci avait réellement engagé une enquête très étendue sur la question de l’initiation maçonnique elle se serait aperçue que rien de s’opposait à ses conceptions, mieux, elle se serait aussi rendu compte que la Maçonnerie comporte bel et bien d’assez nombreuses références au christianisme qu’elle aurait mauvaise grâce de négliger. Mais les condamnations ne parlent jamais de tout cela. On dira peut-être que l’Église n’a pas toujours eu les moyens de prendre connaissance de ces traditions, cela en raison du caractère secret de la Maçonnerie et que pour cette raison elle n’est pas en mesure de juger de leur orthodoxie (LRA, n° 8, p. 24). Mais c’est oublier qu’il fut toujours possible à l’Église de connaître, de l’intérieur, ce que fut la Maçonnerie opérative — en raison de la présence des chapelains, dont J. Rousse-Lacordaire rappelle l’existence — et ce qu’elle est devenue au XVIIIe siècle, cela tout simplement parce que la très grande quantité d’ecclésiastiques initiés dans les loges à cette époque pouvait, dès lors que leur qualité était connue de la hiérarchie, informer l’Église sur la nature véritable de la Maçonnerie quand ils la connaissait. On ajoutera à ceci qu’il n’est plus possible aujourd’hui d’ignorer que la Grande Loge des Anciens fut catholique et qu’elle servit la cause des Stuarts, ou que les opératifs publièrent en 1722 des Constitutions, dites “de Roberts”, qui débute par une prière adressée au Père Tout-Puissant du Ciel, à la Sagesse du Fils Glorieux et à la Bonté du Saint Esprit ! A cela, il serait facile d’ajouter bien d’autres éléments susceptibles de montrer, par exemple, que le Grand Architecte doit être clairement identifié au Verbe éternel, sans qui «rien ne fut» (Jn 1: 3).

Ceci posé, il faut bien dire que paradoxalement Rome pourrait voir dans ces allusions au christianisme, qui sont en fait le signe d’une très ancienne christianisation de la Maçonnerie opérative, une forme de «concurrence» (LRA, n° 8, p. 13) avec les pratiques de l’Église. Mais ce serait là se méprendre complètement. La Maçonnerie n’étant pas une religion, elle n’a pas vocation, par exemple, à veiller au salut de tout un peuple, ni de transmettre un corpus dogmatique relevant de la foi. L’initiation maçonnique, qui s’appuie sur la tradition du Métier de bâtisseur, vise un tout autre but parfaitement redéfini au XXe siècle par R. Guénon comme étant, pour l’homme, le recouvrement de son état édénique primordial. Cet objectif, symbolisé dans certains compagnonnages par la couronne de fleurs, ne saurait donc en aucun cas rivaliser avec ceux de l’Église. Le principe de leur complémentarité est du reste admis depuis fort longtemps des Maçons traditionnels dont les ancêtres ont construit les grandes cathédrales européennes !

Maintenant, si ces derniers n’ont pas à mettre en cause la vérité des dogmes chrétiens, leur perspective spirituelle ne relevant pas du domaine théologique, ils n’ont pas à soumettre leurs vues à un magistère qui ne peut s’exercer que dans le champ religieux. La référence à un ésotérisme, à une Tradition primordiale, à un symbolisme universel, sans doute gênante pour un théologien, est co essentielle à l’initiation maçonnique et ne peut être bridé par un contrôle ecclésiastique dont les compétences ne se situent pas sur ce plan. Or ce problème de l’ésotérisme (LRA, n° 8, p. 25) représente la vraie difficulté empêchant selon nous un authentique rapprochement entre les deux institutions. La récente confusion romaine entre l’ésotérisme et la philosophie toute humaine dont parle S. Paul n’est à ce propos guère encourageante. Déjà au XVIIe siècle les rituels des Compagnons chapeliers furent condamnés par la Sorbonne — malgré leur caractère chrétien — parce que jugés sacrilèges, ainsi que le 18e degré du REAA pourrait donné l’impression de l’être !

Si donc l’Église n’est pas en mesure de reconnaître l’existence d’un ésotérisme authentique, il est clair que toute relation avec des loges attachées au contraire à celui-ci sera impossible, sachant de plus que la Maçonnerie, comme nous l’avons indiqué ailleurs (LRA, n° 8, p. 7, n. 16), puisqu’elle ne provient pas de la Révélation chrétienne, ne saurait représenter l’ésotérisme chrétien pris dans sa totalité, mais tout au plus une partie.

La question d’un rapprochement entre ces deux institutions se pose donc, selon nous, dans les termes suivants. Puisque les obédiences maçonniques ne sont pas aujourd’hui toujours capables de représenter avec rigueur la tradition véritable de l’Ordre, puisqu’elles ne sauraient en outre posséder de manière exclusive les principes d’une «idéologie normative commune» (LRA, n° 8, p. 14) effectivement inexistante, une autre solution paraît devoir être envisagée.

Ne pourrait-on pas concevoir dans un cadre totalement informel le regroupement de loges catholiques, à l’intérieur d’une “Alliance écossaise” inter-obédientielle, pouvant ainsi bénéficier collectivement de cette dérogation dont parle J. Rousse-Lacordaire (LRA, n° 8, p. 23) ? Ce type d’entente, si elle était possible, permettrait peut-être une éventuelle consolidation de la spiritualité occidentale qui, à un certain degré, pourrait même renforcer l’influence de la religion chrétienne dans une société totalement désorientée. Pour autant, il ne s’agirait pas de tomber dans les excès du Rite Ecossais Rectifié dont la tendance à l’éxotérisation christianisante de la Maçonnerie risque de dénaturer celle-ci. Ce que nous disions dans un récent article portant sur ce sujet ne doit donc pas être interprété comme un signe d’hostilité envers le caractère chrétien du RER (LRA, n° 8, p. 3-9), ainsi que l’a imaginé M. Bertrand, mais au contraire comme une volonté de bien séparer les fonctions respectives des deux institutions en présence. Car il s’agit précisément de ne pas confondre ici la vocation de la religion et de l’initiation.

Il est clair enfin qu’un tel accord nécessiterait pour être viable la rencontre de représentants connaissant parfaitement, d’un côté comme de l’autre, et les traditions maçonniques les plus pures et les traditions catholiques les plus pures. Il est seulement presque certain, répétons-le, que la question capitale de l’ésotérisme — mais aussi de la légitimité de l’initiation —, devrait au préalable être à nouveau considérée par l’Église en souhaitant qu’il ne soit pas d’emblée associé aux formes antiques hétérodoxes de dualisme !

Il existe bien en fait une orthodoxie ésotérique, qui bien qu’elle ne puisse être complètement formulée à l’avance de manière figée, relève néanmoins, par delà tout subjectivisme, d’un authentique Magistère, secret et caché, véritable Recteur de la divine Science.

 

Source : http://www.regle-abraham.com/francais/regabtext.htm

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